Abstract :
[fr] Cette étude (à caractère exploratoire et méthodologique) s'articule à un projet consacré aux
facteurs et capacités d'apprentissage phonétique. Elle se centre sur l'une des compétences
phoniques déjà investiguées [1,2]: la maîtrise d'un VOT long par des francophones ne
maîtrisant aucune langue où apparaît ce type de caractéristique. Son originalité est que nous
visons ici à mettre nos paradigmes (initialement créés en vue de recherches fondamentales sur
l'adulte sain), au service du diagnostic des troubles du langage à étiologie cérébrale (maladies
dégénératives, accidents ischémiques, traumas....).
Notre démarche se fonde sur une double argumentation.
D'une part, la littérature suggère [3] que des particularités phoniques peuvent être détectées
en présence de troubles de ce type. On a ainsi montré, chez des patients anglophones en L1
des déficits spécifiques liés aux aphasies de Broca vs. Wernicke [4]: dans les séquences NV,
les aphasiques de Broca présentent des altérations importantes à la fois du timing, de la
coordination inter-articulateurs et du contrôle laryngé, tandis que les aphasiques de Wernicke
présentent uniquement un déficit 'infra-clinique' (non détectable perceptuellement par le
clinicien, mais objectivable par analyse acoustique). Il convient cependant d'éviter les
généralisations hâtives; ainsi, une étude sur des aphasiques francophones a échoué à mettre en
lumière des différences significatives entre aphasies de Broca et Wernicke lors de la
production de consonnes à VOT négatif vs. positif [5] - au contraire de ce qui a été montré
pour l'anglais [6], le japonais [7] ou le thaï [8] -, et ce sans doute parce que l'implémentation
phonétique du contraste de voisement pour les plosives françaises aboutit à deux catégories
plus séparées que dans le cas des autres langues.
D'autre part, si des manifestations plus ou moins saillantes sont ainsi observables dans des
conditions de production proches de la parole ordinaire, il nous paraît sensé de supposer que,
si le locuteur est incité à percevoir et produire en adoptant de nouveaux schèmes, d'autres
observations pourraient être opérées : accroissement de la magnitude des phénomènes déjà
avérés, apparition de phénomènes non favorisés par les structures de la langue maternelle,
éléments plus généralement liés à la flexibilité des mécanismes cognitifs impliqués dans le
traitement de la parole...
Nos sujets relèvent de deux groupes : 1° pathologique (troubles d'étiologies diverses
documentés par dossier médical, ainsi qu'un questionnaire d'histoire linguistique détaillé,
avec exclusion des patients porteurs de déficits auditifs), 2° ordinaire (sujets sains, mais âgés:
la prévalence des troubles visés est en effet spécialement importante parmi les personnes
âgées et les effets du vieillissement normal sur les variables à l'étude sont mal connus).
Les sujets ont été soumis à une tâche d'imitation de 5 pseudo-mots de forme C[t]V[a], dont le
VOT varie par pas de 20 ms entre 20ms (typique du français) et 100 ms (VOT extra-long).
L'analyse présentée ici repose sur les données issues de trois sujets de chacun des groupes ;
elle vise à améliorer la validité et la fiabilité du protocole, dont l'application à des sujets de ce
type constitue une première.
[1] Delvaux V., Piccaluga M., Huet K. & Harmegnies B. 2008. Modelage perceptuel du contrôle de la matière
phonique en L2 : Variabilité inter-individuelle. Actes des XXVIIe Journées d'Etude sur la Parole, JEP 2008,
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[2] Delvaux V., Huet K., Piccaluga M. & Harmegnies B. 2008. Perceptually driven VOT lengthening in initial
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[3] Baqué, L. 2004, Déficit phonétique ou phonologique et stratégies de réparation dans un cas d'aphasie, Revue
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[4] Kurowski, K.M., Blumstein, S.E., Palumbo, C.L., Waldstein, R.S., Burton, M.W. 2007. Nasal consonant
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[6] Blumstein, S., Baum S. 1987. Consonant production deficits in aphasia. In J. Ryalls (Ed.) Phonetic
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[8] Gandour, J., Ponglorpistit, S., Khunadorn, F., Dechongkit, S., Boongird, P., Boonklam, R. 1992. Stop voicing
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