Abstract :
[fr] Dans un contexte éducatif marqué par les tensions sociales et les inégalités scolaires, le film Madame Hyde constitue une métaphore puissante des difficultés rencontrées par les enseignants en milieu sensible. Le personnage de Marie Géquil, professeure de physique dans un lycée défavorisé, incarne les tensions entre l’idéal éducatif et les contraintes institutionnelles. D’abord inefficace et marginalisée, elle subit une transformation symbolique – celle de Madame Hyde – qui vient exprimer sa souffrance latente et son désespoir professionnel. Cette mutation radicale illustre une pédagogie expérientielle et incarnée, en rupture avec les méthodes traditionnelles, mais qui soulève des enjeux éthiques, notamment à travers l’accident impliquant l’élève Malik.
Ce récit fictionnel s’inscrit dans une réalité bien documentée par les recherches en sciences de l’éducation et en psychologie du travail. L’enseignement dans les zones dites « prioritaires » expose les enseignants à une forte concentration d’élèves socialement et scolairement fragiles, à des tensions culturelles, et à un déficit chronique de ressources. Cette accumulation de facteurs de stress peut mener à un épuisement professionnel, souvent conceptualisé à travers le syndrome de burnout. Ce dernier se manifeste par une triade symptomatique : épuisement émotionnel, dépersonnalisation et sentiment de faible accomplissement personnel. Dans le film, ces dimensions prennent forme à travers l’isolement de Mme Géquil, son manque de reconnaissance, et sa dérive vers une dissociation psychique.
En réponse à ces pressions, les enseignants mobilisent divers mécanismes de défense, que la littérature regroupe en stratégies cognitives (planification, résolution de problèmes, renforcement de l’auto-efficacité), comportementales (soutien social, activités extraprofessionnelles, évitement) et professionnelles (mise à distance, délégation, désengagement partiel). Cependant, la fiction de Madame Hyde radicalise ces mécanismes : le dédoublement du personnage, incarnation d’un évitement extrême et violent, traduit une forme de défense pathologique face à une réalité insoutenable. Le film souligne également le poids de l’isolement professionnel et l’absence de reconnaissance institutionnelle, autant de facteurs aggravant la détresse des enseignants.
À rebours de cette radicalisation fictionnelle, les études empiriques insistent sur l’efficacité des stratégies collectives et réflexives. La planification, le sentiment d’auto-efficacité, le soutien des pairs et les ressources pédagogiques apparaissent comme autant de leviers de prévention du mal-être enseignant. Toutefois, leur mise en œuvre dépend largement de la disponibilité des ressources institutionnelles, souvent déficientes dans les établissements les plus fragiles.
Ainsi, Madame Hyde ne doit pas être lue comme un simple divertissement, mais comme une allégorie dramatique de la souffrance enseignante. Elle interroge les limites des stratégies de défense lorsque celles-ci ne suffisent plus à compenser les déséquilibres structurels. Le film pose une question centrale : comment préserver l’intégrité psychique et morale des enseignants confrontés à des contextes d’enseignement pathogènes ? La réponse ne saurait être individuelle ou fantasmatique, mais repose sur un soutien collectif, éthique et durable aux acteurs de l’éducation.