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Abstract :
[fr] Depuis 2007, en Belgique francophone, les directions d’établissement scolaire ont l’obligation de suivre 180 heures de formation initiale qui ont notamment pour objectifs (FWB 2019, p.7) de favoriser le changement de posture professionnelle qu’implique la prise de fonction en tant que directeur, la capacité de prendre du recul par rapport à sa pratique et de développer des compétences d'analyse. En effet, le rôle des directions d’établissement est crucial dans le développement professionnel (DP) des enseignants. D’après Richard et ses collègues, il est important que les directions fassent preuves de leadership pédagogique, notamment en « promouvant activement l’apprentissage professionnel et en participant directement aux activités de DP des enseignants » (2017, p.19).
Un des attendus certificatifs du volet de la formation initiale des directions visant le développement des compétences relationnelles est d’analyser, en utilisant différents outils, une situation contenant une dimension relationnelle rencontrée dans leur pratique professionnelle, d’établir un diagnostic, de choisir une priorité et de construire un plan d’action en démontrant sa compréhension systémique de la situation.
Notre expérience de formateur nous a montré les difficultés des participants à cette formation d’agir avec compétence (Leboterf, 2018) dans l’analyse des situations rencontrées et l’utilisation des outils présentés. L’analyse est souvent réduite à une lecture normative ou prescriptive au détriment d’une compréhension contextualisée (April & Bouchamma, 2017). Analyser une situation est un processus intellectuel complet, qui associe la décomposition et le questionnement, passe par la compréhension et la prise de recul, et se formalise par l’émission d’hypothèses et la formulation d’un diagnostic. La prise de recul critique et la remise en question personnelle jouent des rôles centraux, permettant d’élargir les perspectives, de dépasser les intuitions immédiates et de structurer une réflexion cohérente et utile (Boucenna et al (2022).
Pour répondre à ce constat, nous avons fait évoluer notre dispositif pédagogique destiné à la formation des directions d’établissement scolaire en nous inspirant de l’enseignement explicite (Bocquillon, et al., 2024), pratique ayant fait ses preuves dans d’autres contextes d’apprentissage. Dans cette perspective, cette recherche a pour objectif d’évaluer la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif pédagogique inspiré des pratiques pédagogiques fondées sur des données probantes (Tual, Lima, Bianco, 2022). Plus précisément, d’une part, nous avons cherché à déterminer si la participation au dispositif permet une amélioration observable de la capacité des apprenants à analyser une situation relationnelle complexe et d’autre part, en quoi le dispositif de formation mis en œuvre répond aux caractéristiques de l’enseignement explicite telles que définies par la littérature.
Les études ayant évalué des dispositifs de développement professionnel (DP) des enseignants portent en général sur l’appréciation des participants (Duchaine et al., 2021). Il importe pourtant d’évaluer l’efficacité des dispositifs de formation sur différentes variables. À ce sujet, Guskey (2000) propose un modèle en cinq niveaux permettant d’évaluer l’efficacité de dispositifs de DP via : 1) l’appréciation des participants; 2) l’évaluation des apprentissages des participants ; 3) l’évaluation du soutien organisationnel fourni aux enseignants (notamment par la direction d’école) pour qu’ils mettent en place dans leurs classes les acquis de la formation ; 4) l’évaluation du transfert par les participants des acquis de la formation dans leurs classes (dit autrement, la modification des pratiques des enseignants suite à la formation reçue) ; 5) l’évaluation de la plus-value du DP pour les élèves (en termes d’apprentissage, de comportement…). Dans le contexte du dispositif de formation des directions, nous avons choisi d’évaluer le niveau 2 pour identifier les éléments acquis suite au processus mis en place ainsi que le niveau 4, la mise en œuvre des apprentissages pour interroger la capacité des participants à transférer les connaissances et compétences acquises dans leur propre contexte professionnel. Bien que l’évaluation ne repose pas sur des observations en situation réelle, ce niveau est partiellement mobilisé à travers les post-tests. En effet, ceux-ci s’appuient sur des situations vécues et décrites par les participants eux-mêmes. Le fait qu’ils mobilisent les compétences apprises durant la formation pour réaliser une analyse relationnelle dans leur propre contexte professionnel constitue un indicateur de transfert.
A l’entame de la formation, nous avons, lors d’un pré-test, demandé aux participants (41 personnes) d’analyser un situation relationnelle fictive dont ils ont reçu une description écrite. Nous avons analysé leurs productions en catégorisant les différents gestes réflexifs opérés pour évaluer l’agir compétent des participants dans l’analyse d’une situation relationnelle. Nous avons ensuite mis en œuvre les trois étapes de l’enseignement explicite (modelage, pratique guidée et pratique autonome) durant lesquelles les participants ont analysé deux cas fictifs durant les séances et commencé, à distance, à analyser une situation relationnelle rencontrée dans leur milieu professionnel. Nous avons donné un feedback individuel à chaque participant sur leur analyse personnelle et ils ont pu faire évoluer leur travail. Nous avons considéré leur travail final d’analyse de situation comme post-test dont nous avons analysé les productions de dix participants, choisis aléatoirement, avec les mêmes catégories que pour le pré-test. Nous avons ensuite réalisé 10 études de cas pour comparer les catégories identifiées au pré-test et post-test et rassemblé nos résultats dans une analyse transversale pour voir en quoi le dispositif avait participé au développement de la compétence visant à analyser une situation relationnelle.
Dans l’ensemble, les résultats mettent en évidence une progression significative des participants dans leur capacité à analyser une situation relationnelle. Alors que les prétests reposaient majoritairement sur des descriptions factuelles et des impressions générales, les post-tests montrent une mobilisation explicite d’outils d’analyse stratégique qui ont aidé tous les participants testés à décoder les éléments clés et à structurer de manière plus rigoureuse un diagnostic et une priorité qui en découle. Une majorité des participants ont pu questionner leur situation, formuler des d’hypothèses explicatives en faisant des liens entre des éléments.
Malgré les progrès observés entre les prétests et les post-tests, certaines difficultés demeurent dans les productions des participants. Plusieurs post-tests témoignent encore d’une lecture partielle ou partiellement désorganisée des situations analysées et d’une difficulté pour certains à se décentrer de la situation. Si les outils d’analyse sont mobilisés, ils ne sont pas toujours articulés de manière cohérente, ou sont appliqués de façon mécanique, sans lien clair avec le diagnostic formulé. Dans certains cas, les priorités retenues apparaissent peu en lien avec l’analyse développée, ou restent implicites, rendant leur justification difficile à retracer. Enfin, la mobilisation des cadres conceptuels, bien qu’en nette progression, demeure parfois superficielle ou descriptive. Il arrive que les références soient nommées sans être intégrées de manière explicite à l’argumentation, ou qu’elles ne soient pas exploitées pour approfondir la compréhension de la situation. Ces constats soulignent que si une dynamique de structuration et d’outillage est enclenchée, le passage à une véritable posture d’analyse réflexive articulée reste un processus en cours pour plusieurs participants.
Ces évolutions suggèrent que le dispositif a permis aux participants de développer des savoirs et savoir-faire en lien avec l’analyse de situation relationnelle et de les transférer de manière encore assez mécanique dans l’analyse d’une situation qui demande encore plus de finesse et de cohérence.
Ainsi, en lien avec le thème relatif à la place des preuves en éducation, notre contribution permet de faire le point sur l’implémentation d’un dispositif expérimental en formation d’adultes inspiré par les données probantes et constituera une porte d’entrée pour aborder la question de la place de l’enseignement explicite dans des pratiques pédagogiques au niveau universitaire, dans le cadre du développement de compétences d’analyse de situations professionnelles.