Abstract :
[fr] La présentation examine la réforme en cours du statut des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles à la lumière des transformations structurelles du service public éducatif. À partir de repères historiques, elle retrace l’évolution des qualifications professionnelles et des statuts administratifs, révélant une professionnalisation progressive du corps enseignant depuis le XIXᵉ siècle. Celle-ci s’est concrétisée tant par l’allongement de la formation initiale — récemment renforcée via la Réforme de la Formation Initiale des Enseignants (RFIE) — que par l’instauration de titres requis assurant la compétence disciplinaire et pédagogique des enseignants.
Sur le plan statutaire, la loi Camus (1936) et le Pacte scolaire (1959) ont jeté les bases d’une protection professionnelle dans un cadre législatif visant l’impartialité entre réseaux d’enseignement. Cette organisation s’est consolidée autour d’un continuum statutaire fondé sur l’ancienneté : enseignant temporaire, temporaire prioritaire, puis nommé ou engagé à titre définitif.
Cependant, la Déclaration de Politique Communautaire (DPC) 2024–2029 introduit un tournant majeur. Elle entend substituer à ce modèle une logique de contractualisation généralisée via des CDI, rompant avec le principe de nomination statutaire. Cette réforme s’inscrit dans une tendance plus large, marquée par l’influence croissante de paradigmes néo-managériaux. Le service public éducatif, dans ce cadre, tend à valoriser la flexibilité, la performance individuelle et l’adaptabilité, au détriment de la stabilité de l’emploi et de la reconnaissance du métier comme profession spécifique. Le rapport pédagogique se voit ainsi redéfini sur un mode gestionnaire, renforçant l’évaluation par les résultats et introduisant une logique de reddition des comptes.
Cette tension entre professionnalisation réflexive et pilotage par la performance soulève de profondes inquiétudes. Sans statut fort, la revalorisation académique des enseignants pourrait paradoxalement aboutir à une fragilisation sociale du métier, à une perte d’attractivité et à un abaissement de la qualité de l’enseignement. Ces craintes se trouvent exacerbées dans l’enseignement supérieur, où la contraction des financements, la remise en cause des soutiens à la recherche et la réforme des pensions universitaires compromettent l’attractivité de la carrière académique et menacent la compétitivité scientifique.
Au-delà du sort des enseignants, la réforme traduit un désengagement plus global de l’État vis-à-vis de ses missions éducatives et scientifiques. Elle participe à une dynamique de précarisation du service public, en contradiction avec les principes fondateurs de l’éducation en Belgique francophone : l’accès équitable, la qualité de l’enseignement et la valorisation du rôle des institutions éducatives.
En conclusion, la réforme du statut enseignant ne peut être réduite à une simple mesure administrative. Elle engage une refonte profonde du modèle de service public éducatif. Face aux risques identifiés — fragilisation du métier, précarisation croissante, perte de qualité —, deux enjeux majeurs se dessinent : préserver les fondements de stabilité, d’équité et de qualité du service public, tout en accompagnant son évolution vers une professionnalisation adaptée aux défis contemporains. Une question cruciale émerge alors : quel modèle de service public éducatif voulons-nous pour les générations futures ?