Abstract :
[fr] La pièce de théâtre Kévin crée par Jérôme Piron et Arnaud Hoedt suscite souvent de vives émotions. La problématique qu’elle met en exergue n’y est sans doute pas pour rien : l’École, en tant qu’institution, serait le moteur des inégalités sociales qu’elle vise originellement à réduire. Ainsi, Kévin – prénom sciemment choisi pour faire écho à des stéréotypes relatifs à des milieux socio-économiquement défavorisés – aurait à travers l’école et son parcours scolaires des chances d’émancipation sociale moins élevées que d’autres de ses camarades de classe issus de contextes plus favorisés.
Ce constat rappelle celui que posent les sciences de l’éducation depuis plusieurs décennies maintenant, notamment suite aux publications des résultats des enquêtes internationales successives (Lafontaine et al., 2019 ; Monseur & Baye, 2015). Au-delà du bilan, la recherche en sciences de l’éducation s’efforce désormais de déterminer les facteurs à l’origine de ces inégalités. Parmi ces facteurs, les pratiques évaluatives occupent une place particulière, puisqu’en fonction de l’usage qui en est fait, elles peuvent soit renforcer, soit réduire les inégalités sociales et scolaires (Crahay, 2019).
D’une part, la docimologie – la science qui a pour objet l’évaluation (CNRTL, 2012) – a depuis longtemps mis en évidence la subjectivité inhérente à la notation scolaire (Martin, 2002). Cette dernière est conjointement impactée par un double phénomène : le biais et le bruit (Kahneman et al., 2021). Or, certains de ces phénomènes tels que le largement documenté « effet de halo » sont justement à l’origine de certaines inégalités scolaires, puisque cet effet nous mène à percevoir chaque élève comme un être plus homogène et comme plus dépendant d’un supposé groupe d’appartenance que ce qu’il n’est en réalité (Sanrey et al., 2021). Ainsi, sont regroupés sous cette appellation les biais conduisant à sous-estimer les élèves d’origine ethnique ou sociale défavorisée (Sprietsma, 2013), les filles performantes en mathématiques (Lafontaine & Monseur, 2009) ou encore les élèves ayant redoublé (Rauw et al., 2023) ou ayant été victimes de la fermeture des écoles lors de la crise sanitaire (Baye & Dachet, 2022).
D’autre part, et à partir de ces observations, la recherche sur les pratiques évaluatives a mis en évidence que, sous certaines formes, l’évaluation pouvait également se doter des garde-fous nécessaires afin d’éviter de tels pièges. Ainsi, et à titre d’exemple, des recherches récentes ont mis en évidence que l’évaluation formative était en mesure de neutraliser les effets de halo (Autin et al., 2019) tout en optimisant l’apprentissage des élèves (Lee et al., 2021).
Cette proposition de séminaire est née de la rencontre entre ces deux univers, celui de l’art dramatique et celui de la recherche scientifique. Si par l’art dramatique, les spectateurs ressentent des émotions, découvrent des enjeux sociétaux et entament un long parcours de
remise en question, il nous parait primordial que les enseignants qui auront la chance d’assister à une représentation de Kévin puissent dans sa continuité bénéficier d’un double temps de médiation (Chaumier & Mairesse, 2023) : une conférence visant à mettre en lumière et à approfondir les concepts et problématiques mises en exergue par la pièce ainsi qu’un temps en groupes restreints afin d’entamer des réflexions sur les pratiques pédagogiques évaluatives des enseignants et équipes éducatives présentes.